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Description :
Paravent , Les Marchands Chinois, Edo
Japon, Paravent à deux feuilles, Les marchands Chinois, époque Edo.
Au début du XIXᵉ siècle, alors que les Tokugawa appliquent depuis plus d’un siècle la politique du sakoku, Nagasaki reste le seul trait d’union entre le Japon et l’étranger. L’étroite enceinte du Tōjin yashiki, réservée aux marchands chinois et jouxtant l’îlot de Dejima où résident les Hollandais, devient le théâtre de ces échanges strictement contrôlés. Chaque année, des jonques chinoises y accostent : elles déchargent soie brute, étoffes rares, sucre raffiné, ginseng et herbes médicinales, puis repartent chargées de céramiques, de cuivre et de laques.
Cantonnés trois à quatre mois dans ce quartier clos, les négociants chinois jouent un rôle pivot car ils servent d’intermédiaires obligés à l’économie japonaise et, inversement, alimentent le marché chinois, asiatique et parfois occidental en produits japonais, maintenant ainsi un lien bilatéral vital malgré le cloisonnement politique.
C’est dans ce contexte qu’a été peint ce paravent à deux feuilles, utilisant des pigments minéraux sur papier et posés sur un fond de feuilles d’or. L’entourage est en bois laqué noir.
Il représente des marchands chinois du 18ème siècle.
Les deux premiers marchands, richement enveloppés de lourds manteaux, avancent précédés de deux gorals au pelage sombre ponctué de taches claires. Les gorals sont des chèvres montagnardes d’Asie centrale. C’est une allégorie directe du « Poème des chèvres bleues » de l’empereur Qianlong, qui célèbre la fragilité souveraine et la vigueur maîtrisée de ces bêtes, symboles de la conquête du Xinjiang et de la puissance civilisatrice du pouvoir Qing (« Demeurant maîtresses de la roche, ces chèvres plient sans jamais ployer »).
Derrière eux, deux autres négociants, leurs manteaux aux teintes plus vives, cheminent aux côtés d’un enfant qui tient en laisse un chien à l’allure alerte. Le garçon incarne la transmission familiale du négoce et la volonté d’un commerce pérenne tandis que le chien, par sa vigilance, rappelle la loyauté contractuelle nécessaire dans un échange strictement régulé.
Stylistiquement, ce byōbu s’inscrit dans la tradition du kara-e, peinture de style chinois qui connaît un regain d’intérêt à la fin du XVIIIᵉ et au début du XIXᵉ siècle. Réalisée sur de grands formats comme les paravents, elle puise ses sujets dans l’univers visuel de la Chine impériale : scènes de lettrés, paysages classiques, animaux symboliques ou épisodes de la mythologie. Contrairement au yamato-e, qui célèbre les thèmes spécifiquement japonais, le kara-e témoigne d’une connaissance précise des codes esthétiques, des récits historiques et des représentations sociales venues du monde mandchou.
À cette époque, on observe également une relecture de certains motifs issus du style namban – pourtant propre au tournant des XVIᵉ et XVIIᵉ siècles. Le style namban, qui avait introduit dans la peinture japonaise l’image spectaculaire des marchands portugais arrivant au Japon, avec leurs costumes, leurs bateaux et leurs animaux exotiques, est réinvesti dans un nouveau cadre. Le paravent ici présenté, bien que relevant pleinement du kara-e par son traitement pictural et sa référence explicite à la Chine impériale, entretient un dialogue formel et iconographique avec ces paravents namban. À la figure du marchand portugais s’est substituée celle du négociant chinois.
Ce parallèle n’est pas anecdotique. Il révèle que, tout comme le namban-e avait été une manière de mettre en image la nouveauté et l’importance des échanges avec l’Europe au début de l’époque Edo, le kara-e s’est emparé du motif du marchand chinois pour inscrire visuellement la centralité renouvelée de la Chine dans les échanges commerciaux et culturels du Japon sous sakoku. Leur intégration ne relève donc pas d’une simple fascination pour l’étranger, mais d’une logique savante et économique : celle de représenter, par des moyens visuels codifiés, un monde extérieur perçu comme une source légitime de références commerciales. Malgré la limitation, après 1764, à onze jonques chinoises par an, le volume de leurs échanges restait trois à cinq fois supérieur à celui des Hollandais de Dejima. Les produits exportés depuis le Japon étant revendus en Chine mais aussi aux occidentaux.
Développé par les ateliers de la cour, en particulier l’école Kano, ce répertoire conquiert ensuite les demeures des marchands et des gouverneurs provinciaux, désireux d’affirmer leur réussite par l’acquisition de pièces influencées par la culture mandchoue.
Les paravents kara-e, devenus symboles de prospérité, rappelaient au quotidien l’équilibre délicat entre la fermeture politique du sakoku et la dépendance économique vis-à-vis du monde extérieur.
Hauteur : 172,5 largeur totale 190cm, épaisseur 2cm
Japanese two-folds screen, Chinese merchants, Edo period.
At the beginning of the 19th century, when the Tokugawa shogunate had been applying the sakoku policy for over a century, Nagasaki remained the only link between Japan and foreign countries. The narrow enclosure of the Tōjin yashiki, reserved for Chinese merchants and adjoining the islet of Dejima where the Dutch resided, became the scene of these strictly controlled exchanges. Every year, Chinese junks docked there: they unloaded raw silk, rare fabrics, refined sugar, ginseng and medicinal herbs, then left laden with ceramics, copper and lacquerware. Confined for three to four months in this enclosed area, Chinese traders play a pivotal role, serving as necessary intermediaries for the Japanese economy and, conversely, supplying the Chinese, Asian, and sometimes Western markets with Japanese products, thus maintaining a vital bilateral link despite the political divisions.
It is in this context that this two-panel screen was painted, using mineral pigments on paper and set against a gold leaf background. The frame is made of black lacquered wood.
It depicts 18th-century Chinese merchants.
The first two merchants, richly wrapped in heavy coats, advance preceded by two gorals with dark fur punctuated with light spots. Gorals are mountain goats from Central Asia. It is a direct allegory of Emperor Qianlong's "Poem of the Blue Goats," which celebrates the sovereign fragility and controlled vigor of these beasts, symbols of the conquest of Xinjiang and the civilizing power of the Qing regime ("Remaining masters of the rock, these goats bend without ever bending").
Behind them, two other traders, their coats in brighter hues, walk alongside a child holding a lively-looking dog on a leash. The boy embodies the family transmission of trade and the desire for lasting commerce, while the dog, through its vigilance, recalls the contractual loyalty necessary in a strictly regulated exchange.
Stylistically, this byōbu is in the tradition of kara-e, a Chinese-style painting that experienced a revival of interest in the late 18th and early 19th centuries. Produced on large formats like folding screens, it draws its subjects from the visual universe of imperial China: scenes depicting scholars, classical landscapes, symbolic animals, and episodes from mythology. Unlike yamato-e, which celebrates specifically Japanese themes, kara-e demonstrates a precise understanding of aesthetic codes, historical narratives, and social representations from the Manchu world.
At this time, we also observe a reinterpretation of certain motifs from the namban style—specific to the turn of the 16th and 17th centuries. The namban style, which had introduced into Japanese painting the spectacular image of Portuguese merchants arriving in Japan, with their costumes, boats, and exotic animals, is reinterpreted in a new context. The folding screen presented here, although fully kara-e in its pictorial treatment and its explicit reference to imperial China, maintains a formal and iconographic dialogue with these namban screens. The figure of the Portuguese merchant was replaced by that of the Chinese trader.
This parallel is not anecdotal. It reveals that, just as namban-e had been a way of depicting the novelty and importance of trade with Europe at the beginning of the Edo period, kara-e seized on the motif of the Chinese merchant to visually inscribe China's renewed centrality in Japan's commercial and cultural exchanges under sakoku. Their integration, therefore, stemmed not from a simple fascination with foreigners, but from a scholarly and economic logic: that of representing, through codified visual means, an outside world perceived as a legitimate source of commercial references. Despite the limitation, after 1764, to eleven Chinese junks per year, the volume of their trade remained three to five times greater than that of the Dutch on Dejima. Products exported from Japan were resold in China but also to Westerners. Developed by court workshops, particularly the Kano school, this repertoire then spread to the homes of merchants and provincial governors, eager to assert their success by acquiring pieces influenced by Manchu culture. Kara-e screens, which became symbols of prosperity, were a daily reminder of the delicate balance between the political isolation of sakoku and economic dependence on the outside world.
172,5 x 190 x 2cm